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Report des législatives au Bénin : Vide juridique incident et risques (Interview de Nourou-Dine SAKA SALEY par La Nation, journal de service public, Jeudi 14 avril 2011)


La Nation : Monsieur Nourou-Dine SAKA SALEY, veuillez-vous présenter à nos lecteurs

Certains de vos lecteurs ont dû croiser mes opinions et réflexions dans les colonnes de vos confrères de la presse privée ou sur les ondes audiovisuelles ou radiophoniques, nationales et internationales.
Je crois que c’est la première fois que le journal de service public m’ouvre ses colonnes.

Je suis Nourou-Dine SAKA SALEY, juriste d’affaires et financier de formation et de profession.
Je suis plutôt associé, parce que régulièrement publié dans ce sens, au droit constitutionnel et à la « politique », ce qui peut paraître surprenant au vu de ma spécialisation professionnelle.
Mais le droit des libertés et constitutionnel est une frange de la matière que j’ai adoptée par passion pour les affaires publiques, et surtout consécutivement à ma préparation à l’entrée à l’école d’avocat, préparation pour laquelle le socle est celui des « libertés fondamentales ».

Merci encore de m’ouvrir vos colonnes.


La Nation : Selon l’article 80 de la Constitution béninoise, les députés sont élus pour un mandat de quatre ans. La législature en cours a été installée le 23 avril 2007. Au terme de cette législature et en attendant les élections et leurs résultats, dites-nous si, en droit et dans ces conditions, on peut considérer que le pays dispose toujours d’une Assemblée nationale.

Permettez-moi d’entrée, de relever une situation qui selon moi, devrait faire sursauter toute personne prudente.

Le silence, au terme de la décision du juge constitutionnel, qui sur demande de la Céna, autorisait cette dernière, à faire tenir les élections législatives au-delà du 17 avril 2011, date initialement retenue pour la convocation du corps électoral.

Ce silence d’une part du juge constitutionnel lui-même, qui dans son grand pouvoir de régulation et de garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics (Article 114 de la Constitution), nous entraine dans un vide juridique incident, notamment au regard de la fin de mandat le 23 avril 2011.

Ce mutisme des sages est d’autant plus incompréhensible et déroutant, que la Cour était attendue pour qu’elle prévoit, ne serait-ce que pour la période allant du 23 avril 2011, à la proclamation définitive des résultats des législatives, le « fonctionnement » de cette institution.

Rappelons que l’assemblée nationale ne peut être considérée comme telle que par le biais de son contenu, c'est-à-dire les députés. Sans députés élus, pas d’assemblée nationale. A partir du 23 avril 2011, le Bénin n’a donc plus de députés élus, et par conséquent plus d’assemblée nationale, premier contre-pouvoir élu.

La Cour constitutionnelle a dû être bien embêtée, cause probable de son emmurement dans le silence dénoncé, puisqu’elle ne peut, ni proroger le mandat des députés existants au-delà du 23 avril 2011, ce qui correspondrait à une substitution au peuple souverain sans élections, ni décider autre chose concernant cette institution à titre subsidiaire. Elle ne peut réguler que ce qui existe, et le 23 avril 2011, l’assemblée nationale en cours cesse juridiquement d’exister.

Je dénonce aussi, à mon corps défendant, d’autre part le silence de tous les acteurs politiques, matière première du parlement, devant une situation aussi inédite que dangereuse, selon les conséquences du vide juridique incident créé par la décision de la Cour constitutionnelle.
Le débat politique repose sur les prérogatives du premier contre-pouvoir élu, et la situation de vide juridique peut être utilisée de manière opportune ou opportuniste par les autres pouvoirs existants (élus ou nommés), d’où l’importance d’élever le débat à ce propos.

La réponse à votre question, au regard de ce qui précède est donc, sans ambigüité aucune, que passée la date du 23 avril 2011, le Bénin se retrouve sans députés élus, et donc sans assemblée nationale élue, puisque le seul mode de désignation d’une telle institution est la voie électorale, qui sous le bon sens devrait intervenir avant l’expiration du mandat en cours. Situation inédite et pas sans risques.


La Nation : Nourou-Dine SAKA SALEY, est-ce à dire que même en cas d’urgence, l’actuelle législature ne pourrait pas valablement siéger et légiférer dans ce délai ?

Pour que l’actuelle législature, en situation de mort juridique à partir du 23 avril 2011, puisse siéger et légiférer, il faudrait qu’elle existe ou soit reconduite.
A cet effet, personne en dehors du peuple et ce exclusivement par la voie électorale, y compris la Cour malgré ses immenses pouvoirs hérités de l’article 114 de la Constitution, ne peut reconduire les députés ou renouveler leur mandat.
Une seule voie s’ouvre en cas de nécessité législative, et c’est celle de l’article 68 de la constitution, celle des fameuses « ordonnances », dont les conditions d’existence sont le cas échéant discutables.


La Nation : Pendant la même période, le chef de l’Etat pourrait-il, lui, légiférer par décret ? Si oui, quelles sont les conditions à réunir et quels risques pourrait présenter cette pratique ?

En effet, seul le président de la république, pourra en cas d’urgence signalée, justifiée par les conditions de l’Article 68 auquel je viens de faire allusion (menaces graves et immédiates sur les institutions de la république, sur l’indépendance de la nation, sur l’intégrité du territoire national, sur l’exécution des engagements internationaux, sur le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou en cas d’interruption des pouvoirs publics), recourir aux circonstances exceptionnelles sans que les droits constitutionnels des citoyens n’en soient impactés .
Aux conditions de fond précitées, il faut rajouter les conditions de forme telles que la consultation des Présidents de l’assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, or à partir du 23 avril 2011, l’assemblée nationale n’existe juridiquement plus et on ne peut donc plus parler de son « Président ». Toute ordonnance prise après le 23 avril 2011 à minuit, ne peut juridiquement mériter cette appellation par défaut de conditions de constitution.

Par ailleurs le même article 68 laisse penser que le régime des ordonnances ne peut exister en dehors de toute législature parce que le dernier alinéa prévoit que « l'Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session extraordinaire ». Cette condition non superflue répond au principe de la situation exceptionnelle, qui ne doit point devenir la règle.
L’article 69 précise au-delà que « l’assemblée nationale fixe le délai au terme duquel le Président de la République ne peut plus prendre des mesures exceptionnelles ».

Sans assemblée nationale, donc sans possibilités de limitation du Président de la République, dans son pouvoir de recours à l’article 68, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin de la délicatesse de la situation, en cas de recours exclusif ou abusif aux ordonnances, outil très mal aimé des démocraties, synonyme de mise entre parenthèses de l’assemblée nationale.

Il importe de noter que les ordonnances échappent, contrairement aux lois, au screening de la cour constitutionnelle, quant à leur conformité à la constitution (Article 117 & 118 de la Constitution), même si l’avis préalable (purement consultatif et donc pas rassurant) du juge constitutionnel est requis.

En termes de risques donc, la pratique exclusive, et peut être abusive, des ordonnances ne me parait pas, dans un tel contexte (ponctué par la récente élection ayant conduit à des résultats généralement contestés), dénuée de toutes répliques préjudiciables.

La Nation : Quelle force probante serait alors attachée à ces décrets-lois ? Peuvent-ils être remis en cause ?

Au regard de l’absence des conditions de forme sus-citées devant entourer la prise d’une ordonnance, la validité de ces mesures exceptionnelle peut donc légitimement être soulevée.
Même si l’avis du Président de l’assemblée nationale est purement consultatif, il doit tout de même exister pour être considéré comme élément constitutif de la prise d’une ordonnance.
L’assemblée nationale devant se réunir de plein droit après la prise d’ordonnance, notamment pour limiter les recours aux mesures exceptionnelles, il faut que cette dernière existe juridiquement pour la cause.

En somme, en l’absence d’une assemblée nationale, la validité des ordonnances de l’article 68 est fortement soumise à polémiques.

La difficulté qui surviendrait demeure celle des personnes ayant qualité et intérêt pour agir en contestation légale de ces ordonnances, puisque la constitution reste muette sur la question et que leur auteur ne va logiquement pas en contester la validité.