La loi fondamentale béninoise héritée de l’historique Conférence des forces vives, n’a pas résisté, comme toute œuvre humaine, à la non adaptation aux évolutions et contingences socio-politiques. Plusieurs fois annoncée mais autant de fois avortée, notamment en raison de la crainte entourant une telle opération au regard des révisions opportunistes dans la sous région, sa révision est donc devenue inévitable pour en assurer la pérennité.
Tirant ainsi leçons des nombreux risques de vides juridiques tant au niveau de l’exécutif que du Parlement et des autres institutions de contre pouvoir, un Projet de révision a courageusement été transmis au Parlement, par le Président de la République.
Manifestant les engagements préalables du Chef de l’Etat quant au maintien des règles tenant à l’élection présidentielle, conjointement au désir de renforcement des principes fondamentaux et l’enracinement-renforcement d’une démocratie réelle, le Projet constitue en lui-même une prise de conscience des limites de notre Constitution, et mérite à juste titre d’être salué.
Des mesures telles le désir d’instauration de l’obligation d’un « service minimum » (du nom du précurseur hexagonal de cette mesure), coexistant avec l’exercice reconnu du droit de grève, constitue à notre sens une garantie de la continuité du service public au nom de l’intérêt général, notamment le droit à la vie (réaffirmé également dans le Projet par le bannissement de la peine de mort) et à la sécurité.
En attendant que le Projet de révision reçoive l’onction parlementaire et/ou référendaire, seules souveraines en cet exercice (même si le Décret du 3 novembre 2009, portant transmission dudit projet à l’Assemblée, marque sa préférence pour une « obligatoire onction référendaire au-delà de l’une quelconque des adoptions constitutionnelles par le pouvoir législatif »), et que les souhaits énumérés, tant par le Projet que son esprit, se traduisent par une application optimale, au-delà d’un exposé de bonnes intentions par les différents acteurs en ce qui les concerne, tant dans leurs rôles de garant du respect des textes constitutionnels, que d’acteurs de la vie socio-politique de notre pays, il importe de les analyser sous un angle juridico pratique.
1- Concernant la proposition de l’instauration d’une démocratie participative populaire (Article 105 Nouveau du Projet).
La première surprise est de retrouver cette instauration du "peuple législateur bis" dans le chapitre constitutionnel ayant trait aux « relations entre le gouvernement et l’Assemblée nationale » plutôt que dans celui exprimant la souveraineté du peuple.
Concurremment au parlement qui en détient la compétence originelle, cette proposition ne nous semble pas dénuée de toute ratée ou tout vice s’agissant de son application.
Il est facile d'obtenir 1000 signatures dans un département (même en tenant compte de la nouvelle proposition de découpage administratif) pour instituer une proposition de loi.
Belle image de démocratie participative mais véritable nid à tentations, cacophonie et manipulation. Nous en arriverions à des lois motivées par des critères et intérêts régionaux, alors que la loi est sensée être générale et impersonnelle.
Nous militerions plutôt en faveur d’une démocratie participative à un niveau plus élevé, comme celui de l'Association des maires qui est la représentation nationale de la démocratie locale.
Outre le problème de la proposition, celui de l'adoption se poserait aussi car cette prérogative revient également à l'Assemblée nationale, laissant craindre et pointer à l’horizon, un bras de fer potentiel entre elle et le peuple.
Des propositions taillées sur fond ethnique ou partisan surgiront de toutes parts. Nonobstant la soupape de sécurité que proposition n’implique pas automatiquement adoption, cela va exacerber la rivalité des « auteurs de la proposition populaire » contre la représentation nationale, qui sera taxée et soupçonnée de prise en compte sélective et arbitraire des volontés.
La technique de « votation » des cantons de la fédération helvétique, ne nous semble pas transposable dans le cadre de notre Etat unitaire et central.
L'association nationale des maires nous semble mieux adaptée dans le cadre de l’instauration d’une telle mesure, car fédérative des décisions locales. Le débat sera ainsi mené à une double échelle, d'abord avec les administrés et ensuite en harmonie avec les autres dirigeants des exécutifs locaux par la remontée de l’information.
L'information sera mieux partagée, et peut être que la proposition qui n'aurait pas été prise en compte par d'autres communes, leur sera profitable à elles mêmes.
Rappelons nous que les lois sont à portée générale, nationale et donc obligatoires sur toute l'étendue du territoire.
2- Concernant le rôle des partis politiques (Article 5 Nouveau du Projet)
Au-delà de la proposition du rappel constitutionnel de l’utilité et des devoirs des partis politiques, il devrait être instauré dans le texte fondamental une possibilité de régulation dans la création de ces derniers. La charte des partis politiques devra donc en être adaptée.
Tout parti politique régulièrement enregistré devra concourir en son nom propre, ou sous alliance, à la prochaine élection législative ou présidentielle dans le temps.
En décidant de concourir en son nom propre, et en ayant recueilli en dessous d'un certain nombre de suffrages (fixé sur des bases statistiques) et/ou d'au moins un député, ce parti et ses dirigeants seraient frappés d'interdiction d'animation de la vie politique et de gestion de parti politique avec pour objectif, une limitation de la création pléthorique et anarchique des partis et de la transhumance.
Nous avons environ 147 partis officiellement enregistrés auprès du Ministère de l'intérieur béninois, dont le 1/10 seulement environ est représenté au sein de l’hémicycle.
Tout en ne déniant pas le droit constitutionnel, pour toute personne de se regrouper en association ou parti politique, il nous parait juste de sous peser ce droit à nos réalités.
Le parti politique ne repose sur presque aucune autre idéologie que celle du marchandage. La transhumance s'explique par cette quasi carence d’idéologie politique.
Les partis politiques qui devraient être nationaux, se retrouvent être des regroupements locaux et parfois familiaux, promettant et se donnant comme défi de mobiliser une ethnie ou une localité pour le compte d’une « personne » donnée.
A notre sens, décourager cette volonté de circonscription ethnique ou intéressée conduira à des grands regroupements politiques. Une pléthore inutile est contre productive et contraire à l’esprit des constituants.
Le choix leur sera donc laissé de concourir en individuel, avec le risque de se voir interdire de participer à la prochaine élection nationale (législative ou présidentielle) après celle pour laquelle leur représentativité n'aurait pas été respectueuse des exigences fixées, ou de se regrouper en alliances avec la chance de mieux peser dans le débat politique.
3- Concernant la constitutionnalisation de la CENA (Titre X Bis du Projet)
Belle initiative que celle d’une constitutionnalisation de la CENA, sous le sceau de l'approche du genre et de l'équitable répartition, mais le terme "majorité présidentielle" n'est pas une réalité toujours compatible en terre politique béninoise.
Les récents développements au sein de notre hémicycle mettent en échec cette « présidentialité d’office présumée » de la majorité parlementaire.
La constitutionnalisation en elle même est louable mais il convient d’en cadrer les conditions.
Les membres de la CENA ne sont actifs qu'aux moments des préparatifs d'élections, et à celui des élections en elles mêmes. A cet effet, ils reçoivent des rémunérations spécifiques.
Le projet prévoit un mandat de six ans renouvelables une seule fois.
De peur que naissent des velléités de faire carrière au sein de cette CENA (possibilité d’y siéger pour 12 ans) au détriment de l’utilité administrative que pourraient avoir ces « heureux(ses) élu(e)s », il faudra préciser ou dans la constitution ou dans la loi organique instituant la CENA, que les rémunérations des membres ne seront dues que dans le cadre des activités et périodes électorales.
Le contribuable se retrouverait sinon, à payer des indemnités de manière continue à des "désigné(e)s" même en dehors des périodes pour lesquelles ils/elles seront actifs(ves).
Bien qu’organe constitutionnel, il ne faudrait pas qu’il en devienne un refuge politique et économique, et objet de toutes les tractations, le dénaturant et l’éloignant de son dessein constitutionnel.
4- Concernant la priorité des projets de lois pour une étude en plénière (Article 105 nouveau Alinéa 3- du Projet)
L’égalité des "armes" entre les projets (émanant du Président aidé de son gouvernement) et les propositions (émanant des députés) de lois, leurs auteurs étant tous élus au suffrage universel direct, devrait prévaloir.
Deux pouvoirs distincts et autonomes (l’un étant le contre pouvoir de l’autre, et chargé du contrôle de son action) auxquels il faut accorder le privilège qu’ils méritent respectivement. La suprématie des « lois présidentielles » dans l’esprit du Projet de révision constitutionnelle, ne devrait pas avoir pour effet pervers de faire précipiter des projets de lois en cascade, pour contrecarrer des propositions de lois qui ne seraient pas voulues ou souhaitées par l'exécutif, puisque tout projet de lois supplanterait toute proposition de lois.
5- Concernant la Cour des Comptes (Titre VII Bis du Projet)
Il serait utile de préciser également le mode de désignation de ses membres, que nous souhaiterions partagée entre l’exécutif et le parlement.
Par ailleurs, l’impossibilité constitutionnelle de contrôle des comptes et dépenses des autres institutions telles que la Présidence, le Médiateur de la République et les autres institutions constitutionnelles, mérite réflexion.
6- Concernant la rétroactivité de la loi pénale sur les crimes économiques et crimes contre l’humanité (Article 16 Nouveau Alinéa 3 du Projet)
Par principe la loi pénale n’est rétroactive que lorsqu’elle ne durcit pas les conditions de sa mise en œuvre ou de traitement de l’infraction.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, Grande Chambre, 17 septembre 2009, Arrêt Scoppola c/ Italie) a expressément manifesté son opposition à la rétroactivité absolue de la loi pénale, consacrant ainsi la rétroactivité « in mitius », c'est-à-dire de la loi pénale seulement lorsque celle-ci est plus douce pour le prévenu. Le débat (ouvert cependant) à ce propos se situera entre la gravité des infractions en question et la dangerosité de la mesure de rétroactivité absolue projetée.
7- De l’utilité de l’instauration d’une « Commission des recours électoraux »
Tout en militant en faveur d'une diminution des membres des Cours Suprême et Constitutionnelle nommés ou désignés par la seule personne du Président de la République, le risque de l'exclusivité des contentieux pour l'une ou l'autre Cour réside en la désignation elle-même, si l’on se réfère à la récente polémique autour de celle de la Cour Constitutionnelle en exercice.
Au sein de la Cour suprême, tous les membres sont nommés par le Chef de l'Etat, selon la mouture actuelle du texte fondamental, sur proposition du Président de la Cour suprême après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Le Chef de l'Etat nomme également trois des membres de la Cour Constitutionnelle, et peut-être même tous ses membres s'il dispose d'une majorité confortable ou "de circonstance" au sein du bureau de l'assemblée.
La possibilité de retrait à la Cour Suprême et à la Cour constitutionnelle, de l'exclusivité des contentieux électoraux, par l’instauration constitutionnalisée d’une "Commission des recours électoraux" comprenant les membres des deux Cours à l'exception de leurs Présidents, et présidée de manière rotative à chaque élection par une personne désignée par la société civile, est aussi à étudier.
En somme, il faudrait revoir tout d'abord le mode de désignation au regard des prérogatives exorbitantes du seul Président de la République, et ensuite rechercher un équilibre, gage d'une recherche d'impartialité, au sein de cette « Commission des recours électoraux », dans un contentieux aussi délicat que celui des élections.
En conclusion, il demeure que ledit Projet devra subir le screening parlementaire et obligatoirement référendaire, conformément aux prescriptions du Décret présidentiel, avant que le Bénin ne se dote d’une loi fondamentale repensée et tissée sur la corde de celle qui, au soir des 19 années de bons et loyaux services, a contribué à faire de notre pays, un des précurseurs et une vitrine de la démocratie en terre africaine.
Nourou-Dine SAKA SALEY
Juriste.
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