Sourire jaune, jauni par le doute général quant à la réelle intention de la demande d’irrecevabilité, à la lecture des arguments développés par la correspondance du Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale.
Un flot de dispositions de droit communautaire, agrémenté de références à la constitution et au règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour justifier que la proposition de loi contestée violerait un accord communautaire, et que de surcroît, la proposition de loi abrogative serait inappropriée pour le but voulu par ses initiateurs. Un déversement de textes dont on se demanderait si l’objectif réel n’est pas dilatoire ou diversif.
La lettre présidentielle, dont nous apprenons qu’elle fut dans la foulée « retirée » par son auteur, soulève tout de même des questions juridiques intéressantes qu’il convient d’éclaircir, pour qu’à l’avenir ne surviennent plus de telles légèretés, préjudiciables à nos honneur et fierté citoyens.
1. Seule une loi peut abroger une autre loi qui lui préexiste
Pur bon sens serait-on tenté de dire aux requérant et sympathisants de l’irrecevabilité de la proposition de loi litigieuse.
Non seulement bon sens commun, mais il existe une règle de droit qui impose le parallélisme des formes. Une mesure ne peut être rapportée que par une autre mesure qui lui est juridiquement équivalente.
Le constituant a prévu dans notre loi fondamentale de distinguer expressément le domaine de la loi (Article 98 de la Constitution) et par déduction-élimination celui du règlement (Article 100 de la Constitution).
Se fondant sur cette distinction constitutionnelle, et sur l’alinéa 1er l’Article 104 de la Constitution (« Les propositions, projets et amendements qui ne sont pas du domaine de la loi sont irrecevables »), la requête en irrecevabilité conteste le caractère législatif de la proposition.
Face à cette contestation alléguée, il convient de s’interroger sur, et de rappeler la nature juridique du texte instituant la LEPI.
Si la LEPI a été instituée par une mesure qui ne relève normalement pas du domaine législatif, pourquoi n’en soulève-t-on pas l’invalidité, plutôt que de revendiquer paradoxalement son obligatoire continuation en dépit de tous les appels infructueux au dialogue, qui ont finalement ouvert la voie à la proposition de loi contestée ?
Le requérant s’inscrirait donc dans l’illégalité, dans son désir de maintenir la LEPI en son état actuel, parce que sa mise en œuvre reposerait, selon son argumentaire, sur une norme inappropriée. A LEPI illégale, poursuite de la procédure illégale.
Si le requérant ne dénie pas à la LEPI (texte déclaré conforme à la Constitution par la Cour Constitutionnelle, obligatoirement avant sa promulgation par le requérant lui-même qui dispose du droit au recours en inconstitutionnalité sur ladite loi ) une paternité législative, il est surprenant, qu’il conteste le caractère législatif d’une proposition destinée à abroger la LEPI dont il n’a préalablement pas disputé la validité, au regard des mêmes dispositions constitutionnelles par lui soulevées.
Les critiques des media sur la fameuse demande présidentielle d’irrecevabilité, font état d’un possible recours à la Cour Constitutionnelle pour trancher la question du domaine normatif compétent.
Un conseil adéquat à toute personne tentée par l’aventure d’un recours à ladite Cour, serait de ne point porter la requête sur les arguments tenant au non respect du Traité communautaire, comme soulevé par la demande d’irrecevabilité.
En effet, il est de jurisprudence constante et établie que le juge constitutionnel est incompétent pour « juger de la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international », une loi contraire à un traité, n’étant pas forcément contraire à la Constitution (France - DCC 74-54 du 15 janvier 1975).
Si recours à la Cour Constitutionnelle il peut y avoir en l’espèce, ce ne serait que sur le fondement de l’alinéa 4 de l’article 104 de la Constitution (« En cas de contestation sur les alinéas 1 et 3 du présent Article, la Cour Constitutionnelle, saisie par le Président de l'Assemblée Nationale ou le Gouvernement, statue dans un délai de huit jours »).
Il ressort de cet alinéa que lorsque le caractère législatif ou règlementaire d’une mesure est contesté, et seulement en cas de contestation, il revient au Président de l’Assemblée ou au « Gouvernement » (donc au Président dans notre cas, puisque Chef du Gouvernement, et, par extraordinaire, auteur de la requête) de saisir la Cour qui est tenue de résoudre la contestation sous un délai de 8 jours.
2. Quelle aurait pu être la réplique idéale du Président – Requérant ?
La demande présidentielle d’irrecevabilité présentant son auteur comme « garant constitutionnel du respect des Traités » faisait valoir la menace sur le respect du Traité CEDEAO du 24 juillet 1993, et sur les accords d’aide au financement de la LEPI, comme moyens à l’appui de sa demande en irrecevabilité.
En introduisant cette novation de « défense préventive », le requérant laisse implicitement présager une possibilité de juger en amont de la conventionalité d’une « proposition de loi » alors qu’il n’existe juridiquement (sauf création de dernière heure) rien de prévu à cet effet.
La conformité d’une norme législative à un traité n’est valable que dans le cas d’une loi au sens organique du terme, c'est-à-dire adoptée, promulguée et publiée.
Si on ne peut dénier au Chef du gouvernement, la possibilité constitutionnelle de « réduire le droit d’initiative des parlementaires », il n’en demeure pas moins que les moyens utilisés à cet effet doivent, eux aussi, rester encadrés par le respect des normes légales et constitutionnelles.
L’argument tiré de l’applicabilité directe et coercitive du Traité CEDEAO (qui s’apparente plus à des recommandations qu’à des obligations) dans notre droit interne, ou des accords relatifs à l’aide au financement du processus par des bailleurs de fonds, contenus dans la demande d’irrecevabilité, sont insuffisants voire inopérants en l’espèce.
En réalité, la nature et l’objet du traité déterminent le critère d’applicabilité directe et le degré de coercition. La réciprocité, un des critères d’applicabilité directe, est souvent accompagnée de mesures et de sanctions en cas de non respect par l’une des parties à l’accord.
L’appui financier des bailleurs de fonds, qui a comme contrepartie le respect par l’Etat béninois des engagements, quant à la bonne mise en œuvre de la LEPI, ne peut se révéler supérieure, au fonctionnement interne des institutions et procédures relatives à la LEPI et décidées par les parlementaires dans la loi adoptée qui institue la LEPI.
Aussi bilatéraux que multilatéraux soient ils, ils constituent des mesures financières d’aide à une nation et n’entrainent pas des obligations de résultat pesant sur l’Etat récipiendaire.
Puisque le Président–Requérant n’a pas remis en cause le caractère législatif de la LEPI actuelle comme sus exposé, il apparait donc inopportun d’user de la mise en œuvre de l’article 104 de la Constitution, pour contester le caractère législatif de la proposition litigieuse.
Sans présager de l’issue du vote des députés sur la proposition de loi, la possibilité pour le Président-Requérant, aurait été :
- En cas d’adoption par le parlement, de requérir de la Cour Constitutionnelle la vérification la conformité de la loi abrogatoire à la Constitution
- En cas de validité de la loi abrogatoire, de saisir une juridiction de droit commun aux fins de vérification la conformité de la loi au Traité CEDEAO et aux accords signés avec les bailleurs de fonds.
Dans un contexte politique marqué par la perte manifeste de la majorité parlementaire favorable au Gouvernement, et par une fronde ouverte au sein même des parlementaires de la famille politique du Président-Requérant, cette demande d’irrecevabilité laisse un amer goût de « carottes cuites » et de velléités de poursuivre sous quelque coût que ce soit, un processus implicitement déclaré illégal, car échappant au domaine de la loi, par le Président Requérant lui-même.
De telles initiatives ne laissent pas présager d’une envie d’apaisement dans ce débat, inutilement levé autour d’un « instrument électoral », voulu par tous et qui devrait rompre avec les « fraudes » (selon les termes de la demande d’irrecevabilité), fraudes désormais volontairement reliées à la traditionnelle méthode électorale qui a pourtant connu en 2006 l’élection du Président Requérant, qui en a accepté le verdict sans contestations.
Nourou-Dine SAKA SALEY
Juriste
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