Pages vues le mois dernier

Affaire Gnonlonfoun : La Cour Constitutionnelle fait ou feint-elle une mauvaise lecture de la saisine de Mr Agbodjan ?


La décision Dcc 09-140 du 05 novembre 2009, renferme des raccourcis de nature à laisser dubitative et sur sa faim, toute personne rigoureuse et soucieuse de la préservation des droits et libertés humains.

En effet, la Cour Constitutionnelle béninoise, saisie d’une requête à deux volets de Mr Agbodjan, en date du 28 septembre 2009, qui était amenée d’une part à apprécier la constitutionnalité de la « détention » du désormais célébrissime maire de Dangbo, Mr Gnonlonfoun, et d’autre part du « comportement » du Procureur dans la conduite du dossier, a rassemblé et assimilé ladite requête à un « contrôle de légalité » élevant ainsi son incompétence comme motif partiel en réponse, qui plus est, à la totalité de ladite requête dans ses deux volets.

Sans même s’éterniser sur la violation par la Cour elle même de l’Article 120 de la Constitution, lui faisant obligation de « statuer dans un délai de quinze jours après qu’elle a été saisie….d’une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques », je suis resté partagé entre un sentiment d’insatisfaction et de doutes quant à la bonne compréhension par l’illustre Cour des termes de la saisine de Mr Agbodjan.


1- Sur la notion du contrôle de légalité.

La légalité est la qualité de ce qui est conforme au droit, ou à la loi dans un sens plus précis et restrictif.
En d’autres termes il s’agit d’analyser comment et par rapport à quelle règle la légalité d’un acte juridique, ou du régime dont il émane, est appréciée.

Les professeurs de droit Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps (in Droit Constitutionnel, 2004, Ed PUF), estiment que la légalité d’un « acte juridique » se mesure par rapport à une règle qui lui soit supérieure.
Le contrôle de légalité ne peut donc porter que sur un acte juridique. Au delà le principe du contrôle de légalité n’est souvent rencontré que dans les cas des actes administratifs pris par les collectivités territoriales et établissements publics, où le représentant de l’Etat (le Préfet le plus souvent) vérifie la conformité des actes administratifs à la loi et par extension aux règlements.
A la lecture de la décision Dcc 09-140 du 05 novembre 2009, la Cour fait dire au requérant que sa saisine « tend en réalité à faire apprécier par la Haute juridiction, la mise en œuvre des dispositions du Code de procédure pénale ».

Le volet de la requête ayant trait au comportement du Procureur, devant être analysé sous l’angle de l’Article 35 de la Constitution (« Tout citoyen béninois, civil ou militaire a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l'ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République») nécessitait donc de la Cour qu’elle se prononçât non pas sur le régime légal des prérogatives du Procureur en matière d’appel, mais sur le devoir sacré de respect par ce dernier notamment de l’obligation à lui édictée par l’Article 35 de la Constitution.
Le requérant apportait en outre la démonstration que le comportement incriminé du Procureur constituait, selon lui une atteinte aux dispositions de l’Article 35 sus cité.

Non seulement la Cour à faussement assimilé la saisine du requérant à un contrôle de légalité, mais aussi elle s’est illustrée dans une dénaturation de cette dernière.


2- Sur la dénaturation (volontaire ?) de la requête de Mr Agbodjan.

La Cour précise dans sa décision que le requérant « porte plainte au sujet d’une violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques de Monsieur Clément Dona Gnonlonfoun maintenu en détention depuis l’audience du Tribunal de Porto-Novo en date du 23 septembre 2009 ».

Nous comprenons que ce n’est pas la décision d’application des dispositions du Code de procédure pénale qui est ici déférée à la Cour par Mr Agbodjan, mais la situation de privation de liberté du maire Gnonlonfoun, marquée par le maintien en détention, que le requérant caractérise de « violation de droits de la personne humaine ».

Qu’est ce qui a donc pu fonder les certitudes des sages de la Cour, qui en se substituant à la conscience du requérant, estiment que la requête « tend en réalité (synonyme d’une intention déguisée) à faire apprécier par la Haute Juridiction les conditions de mise en œuvre de ces dispositions » ?

Pourquoi la Cour s’arroge t-elle le droit de se substituer à la volonté du requérant dans le but de requalifier la requête en un contrôle de légalité, manifestement inexistant et inopérant en l’espèce ?

L’objectif final de la Cour était-il de s’auto-déclarer incompétente quant à la requête ?

En effet, on pourrait difficilement trouver une logique ou des circonstances justifiées (ou atténuantes) dans cette décision des sages qui se substituent à la volonté du requérant, pour ensuite la requalifier, et emporter ainsi leur incompétence.

Nous nous refusons de croire que les sages de la Cour, tout comme Mr Agbodjan, juriste confirmé, n’ont pas compris qu’il s’agissait d’un contrôle à effectuer non pas sur la décision du Procureur sur le fondement des dispositions du Code de procédure pénale, mais sur la détention toute entière (donc fait juridique) du maire au regard de la Constitution et de l’Article 6 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ratifiée par notre nation, qui dispose que : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans les conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement ».

La simple lecture des termes de la saisine laisse comprendre que les prérogatives du Procureur au regard du Code de procédure pénal, n’étaient nullement l’objet de la saisine effectuée par Mr Agbodjan.

La Cour Constitutionnelle béninoise par cette nouvelle décision, n’endosse t-elle pas le bonnet « d’interprète de le volonté profonde » et de « détentrice de la connaissance absolue de la réelle signification des aspirations des requérants » ?
Il devient dès lors inutile d’adresser des requêtes à la Cour, si en dernier ressort elle décide discrétionnairement de la signification à leur donner, ou de les requalifier, en marge de la volonté des requérants.


En conclusion, nous estimons que l’argument du contrôle de légalité concernant la requête de Mr Agbodjan, est inopérant, et souhaitons de tout cœur que les sages de la Cour, puisqu’ils ont fait choix de ne répondre, sans pour autant nous convaincre, que sur le seul volet concernant le « comportement du Procureur », se prononcent effectivement sur la constitutionnalité de la « détention toute entière » du Maire Gnonlonfoun en tant que « garante des droits fondamentaux de la personne humaine » (Article 114 de la Constitution) au regard des dispositions cumulées des Articles 120 de notre loi fondamentale et 6 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.



Nourou Dine SAKA SALEY
Juriste financier

Aucun commentaire: