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Les béninois ont-ils tort de s‘interroger sur l’impartialité de leur Cour constitutionnelle ?

L’opinion frémit encore à la simple évocation du nom de Paul Yao N’Dré, Président du Conseil Constitutionnel de la République de Côte d’Ivoire, indexé (à tort ou à raison) d’être le responsable de la crise institutionnelle frappant ce pays frère.

L’opinion des deux nations soeurs gémit en réalisant l’énorme pouvoir concentré entre “les mains” d’une institution, ramenée souvent à la personne de son président, alors que constituée de neuf membres en Côte d’Ivoire et sept pour notre pays le Bénin.

Dans tous les pays du monde, le juge constitutionnel, juge électoral des élections majeures, est contesté dans sa légitimité, notamment en raison de son mode de désignation taxé d’être politiste et subjectif.

Dans son article publié le 28 avril 2009 dans la presse locale et intitulé “La Cour constitutionnelle béninoise est elle dans son rôle constitutionnel ?”, votre fidèle serviteur posait la question suivante: “la Cour actuelle saura-t-elle garantir aux citoyens l’impartialité et l’indépendance dans son prochain rôle de juge électoral ? Un alarmo-pessimisme prématuré se choquait-on à l’époque...

Dans mes recommandations publiées le 13 décembre 2009, intitulées “Quelles avancées présente le projet de révision de notre Constitution au soir de ses 19 ans ?”, je faisais état de l’opportunité d’instauration d’une commission de recours électoraux, enlevant l’exclusivité du contentieux électoral à la seule Cour Constitutionnelle. Une auto flagellation utopiste, considérait-on à l’époque...

Dans deux articles successifs publiés les 26 août 2010 (“Bénin: Les lois électorales ne souffrent d’aucune anticonstitutionnalité objective”) et 18 octobre 2010 (“Décisions de la Cour Constitutionnelle sur les lois électorales: censures méritées ou préméditées...”), je m’inquiétais des trop grandes prévisibilité et accointance entre les prédictions des “familles, parents et alliés FCBE”, et les décisions de censures des sages de la Cour.

Nos lois électorales (rejetées et mises en conformité) étaient encore pendantes devant les sages, quand toute l’opinion a été secouée par les spasmes de la crise institutionnelle ivoirienne, avec comme épicentre, la décision du Conseil Constitutionnel de Paul Yao N’Dré.

Toute l’opinion s’accorde néanmoins à reconnaître les qualités professionnelles de ces deux hommes, l’ivoirien dans ses activités privées et antérieures de professeur d’université félicité de tous, et le béninois dans ses activités privées de brillant avocat.

Si Paul Yao N’Dré n’est “qu’un proche et partisan du FPI, parti du président qu’il a proclamé vainqueur”, le Président de notre Cour Constitutionnelle est, comme je l’ai rappelé dans mon article du 18 octobre précité, “un candidat malheureux aux élections législatives de 2007 sur la liste du parti FCBE”, parti constitué autour du Président de la République, marquant une affiliation et un engagement politiques plus prononcés dans notre cas.


Dans ses décisions DCC 10-144 et DCC 10-145 du 14 décembre 2010, relatives à la rupture Gouvernement-Parlement autour du budget de l’institution parlementaire, et à l’augmentation du nombre de députés, la Cour a décidé que les députés n’avaient pas fait preuve de “conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l'intérêt et le respect du bien commun", notamment que le parlement ne disposait “que d’une autonomie de gestion”, et que l’autorité de la chose jugée liée à ses décisions n’avait pas été respectée de manière diligente par les “outrecuidants” députés.

A ces arguments on pourrait légitimement opposer:

- primo, que considérer que la “majorité” des députés n’a pas fait preuve de conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté”, relève du subjectif et dépend de la lecture personnelle des “sept désignés” de la Cour Constitutionnelle, car la Constitution n’a pas défini des critères techniques et objectifs d’une telle considération, mais il faut reconnaître que l’excellent Article 35 de la Constitution est un merveilleux “fourre-tout refuge très utile”;

- secundo, que la gestion d’une institution, recouvre implicitement le pouvoir pour cette dernière d’être la mieux placée pour décider et prévoir les moyens de gestion dont elle a besoin, en toute autonomie.

- et enfin tertio, que l'autorité de la chose jugée, n’est pas irréversible et ne vaut que jusqu’au prochain revirement de la jurisprudence constitutionnelle, l’évolution des contextes politico-juridiques pouvant nécessiter une telle situation.

Manifestement, la Cour s’est rangée du côté de la conception selon laquelle, le Parlement ne créant pas de la richesse, et ne disposant pas de ressources propres, ne pouvait que se voir allouer “l’aumône” que “le bon coeur” de l’exécutif est disposé à lui concéder.

Mais les décisions de l’institution que préside l’ancien candidat malheureux FCBE aux législatives, ne sont susceptibles d’aucun recours...

Dans sa décision DCC 10-146 du 14 décembre 2010, relative à la caution jugée exorbitante, la Cour a estimé pour des raisons de forme, que la loi déférée était contraire à la constitution.

Il convient de s’attarder un peu sur les arguments des requérants qui estiment que la caution de 100 millions CFA instaure “un suffrage censitaire et un système d’exclusion des citoyens, et une obligation de se faire porter par une formation politique”, marquant une inégalité de droits.

A ces arguments, on pourrait légitimement opposer

- d’une part, que dans notre pays où le salaire minimum est de moins de 50.000 FCFA, les cautions jusque là adoptées par le parlement, qu’elles soient de 5.000.000 FCFA (plus de 100 mois de salaire au SMIG) ou de 15.000.000 FCFA (plus de 300 mois de salaire au SMIG), ne permettent à aucun citoyen de, légitimement, les réunir à lui seul, et au seul effort de son épargne, une fois ses besoins primaires satisfaits;

- d’autre part, que la candidature à la présidentielle ne se limite pas qu’au paiement de la caution mais implique aussi, des frais de campagne, qui ne sont objectivement d’aucune commune mesure.

Pour avoir été lui-même candidat à la présidentielle, le Président de la Cour, sait, tout comme les requérants, que la caution financière exigée (de 5, de 15 ou de 100 millions) exclue d’office la majorité des béninois, que le montant querellé n’est qu’une pure considération subjective, et surtout qu’en toute objectivité, aucun citoyen ne va seul à une élection quelle qu’elle soit, surtout présidentielle.

Mais les décisions de l’institution que préside l’ancien candidat malheureux FCBE aux législatives, et ancien candidat malheureux à la présidentielle, qui s’est encore une fois abstenue en l’espèce de se prononcer sur le fond des requêtes, ne sont susceptibles d’aucun recours...


Il convient cependant de rassurer l’opinion que le risque d’une impasse ne plane nullement sur le Bénin, sauf refus manifeste des autorités compétentes de convoquer le corps électoral, refus qui les rendrait coupables d’une violation de la loi fondamentale.

En effet, nous disposons des lois électorales qui ont gouverné les élections présidentielles de 2006 et les législatives de 2007.

L’élection présidentielle de 2011 est un rendez-vous constitutionnel qu’il n’est permis à personne de ne pas respecter.

L’article 42 de la Constitution précise que la durée du mandat présidentiel est de cinq années.
L’article 46 fait obligation à l’exécutif de convoquer le corps électoral.
A cela l’article 47 ajoute que “le premier tour du scrutin de l'élection du Président de la République a lieu trente jours au moins et quarante jours au plus avant la date d'expiration des pouvoirs du Président en exercice”.

A la date du 6 mars 2011 au moins ou du 24 février 2011 au plus tard, le premier tour des élections doit avoir eu lieu, pour respecter les dispositions constitutionnelles. L’utilisation du “présent de l’indicatif” dans une disposition légale a, en droit, valeur de coercition.

La seule possibilité de ne pas tenir ce rendez vous constitutionnel serait de recourir à une loi d’exception qui autoriserait l’exécutif à ne pas convoquer le corps électoral, loi d’exception qui devra être conforme à la Constitution...donc modification inéluctable de la loi fondamentale.
Qui dit loi d’exception, dit exclusive intervention du vote des députés, initiateurs légitimes concurremment au Président de la République, du projet de révision.
La modification de la loi fondamentale, devra en principe être ratifiée par un référendum à postériori sauf à considérer que le parlement adopte à la majorité de 67 députés, le texte modifiant la Constitution.
Le rapport de forces politiques en place au sein de l’hémicycle ne se prête nullement à une telle issue en faveur de l’exécutif.
Il faudra en outre, en cas de référendum, expliquer les raisons de la non tenue d’une élection classique, constitutionnelle et obligatoire, au profit de celle d’un référendum, et notamment sur la base de quelle liste électorale ce dernier sera tenu (celle manuelle décriée, ou celle informatisée, non disponible à l’état actuel).

Nous avons encore, heureusement, en mémoire la gigantesque croisade contre la modification de la Constitution en 2005, dont les vaillants acteurs sont encore en vie, et, nous en sommes convaincus, malgré certaines escapades gouvernementales, mus par les mêmes convictions.

Souhaitons également que la grandeur et l’impartialité rassurantes des précédentes mandatures de la Cour Constitutionnelle, laissées en héritage, sauront être perpétuées, par l’actuelle Cour, elle-même soumise au strict respect de l'article 35 de la Constitution, de manière à ne pas faire de nous les suivants sur la liste d’attente, des crises institutionnelles dans nos jeunes démocraties.

Paris, le 16 décembre 2010

Nourou-Dine SAKA SALEY
Juriste

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