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Interdiction préfectorale des marches de protestation: entre ignorance des textes et abus zélé de pouvoir.


Dans un contexte global partagé entre le désespoir grandissant des ménages dont les conditions de vie peinent à s’accommoder des hausses continues de prix, et les perpétuelles tentatives de justification des soupçons (parfois confirmés) de malversations financières de la part des autorités civiles et même militaires, qui excellent désormais en monologues oratoires prosaïques, le peuple a tendance à recourir au moyen traditionnel de la protestation.

Le droit constitutionnel aux manifestations publiques, édicté à l’Article 25 de la Constitution béninoise, a récemment été remis en cause par décisions du Préfet du Littoral-Atlantique, Mr Jules Honorat Hêssou, par deux fois, contre un parti politique et contre des syndicats.

En effet, la marche prévue par les syndicats dans leur ensemble le 21 juillet 2009, a été interdite par le Préfet (Arrêté préfectoral n°2/151/Dép-Atl-Litt/Sg/Stccd/D3) aux motifs de prévention de troubles à l’ordre public.

Le flou juridique propice à une mal compréhension et une application viciée des textes, nécessite que soient précisés le régime des manifestations publiques dans notre ordre juridique interne, et les pouvoirs de police administrative du préfet.

1- Le régime de la liberté de manifestation

Consacrée et garantie par l’article 25 de la loi fondamentale béninoise, la liberté de manifestation rentre donc dans le cercle protégé des libertés publiques.

L’exercice des libertés publiques obéit à deux régimes particuliers.

D’une part le régime contraignant de l’autorisation préalable, qui impose à toute personne d’obtenir un agrément préalable de l’autorité compétente avant l’exercice de cette liberté.
Dans cet ordre d’idées, la liberté de s’exprimer par le biais d’un organe de presse qui est soumis à l’agrément préalable de la HAAC en l’espèce et justifié par le caractère « dangereux » que peut revêtir l’information selon qu’elle est orientée dans ce dessein.
La restriction des libertés publiques par l’instauration d’un régime d’autorisation préalable est du ressort de la loi qui en définit clairement les contours et sphère d’application. Tout exercice d’une liberté soumise à autorisation préalable en violation de l’obligation pesant sur son titulaire, expose ce dernier non seulement à l’interdiction mais aussi à une sanction par les autorités compétentes.

D’autre part, le régime de déclaration préalable, préféré en raison de la lourdeur administrative pour les libertés publiques, qui laisse présumer la bonne foi des titulaires et les rend ainsi passibles de sanctions en cas d’abus dans l’exercice de leurs libertés. Le titulaire de la liberté publique est ici seulement tenu d’informer l’autorité compétente du projet d’exercice de sa liberté, quitte à en assumer les conséquences répressives en cas d’abus.
Cette autorité dotée d’un pouvoir d’appréciation sur l’information dispose néanmoins du pouvoir d’intervenir sur l’exercice de ladite liberté.

La liberté de manifestation exercée par les syndicats, dont l’objet est la défense des intérêts des travailleurs (donc renforçant la liberté publique) et qui a buté contre le refus de l’autorité préfectorale en l’espèce, appelle quelques précisions.

En droit interne béninois, la constitution demeure la norme suprême, et la loi qui lui est inférieure et soumise, ne peut intervenir pour restreindre des libertés publiques expressément garanties par elle, que dans des conditions elles mêmes conformes à la constitution.
Soumettre la liberté de manifestation à un strict régime d’autorisation préalable, reviendrait à soumettre sa sœur jumelle de libre circulation des personnes à une obligation de permission d’aller et venir pesant sur tout individu. On devrait donc demander la permission à nos autorités communales et centrales pour sortir acheter du pain.

A défaut donc d’une loi définissant les critères d’exercice du droit à manifestation, il ressort qu’il s’agit donc d’un régime de déclaration préalable.

La notification de la marche adressée par les syndicats à l’autorité communale correspond donc à une formalité déclarative et non à une demande de permission d’exercice de la liberté de manifestation.

Si le principe absolu des manifestations en République du Bénin était d’obtenir une autorisation préalable, il eut fallu que l’on condamnât la légendaire « marche verte contre la corruption » menée spontanément par le Chef de l’Etat, et qui a drainé dans les artères de la ville une foule appelant et soutenant la lutte contre la corruption. Aucune, même simple, déclaration n’a été faite auprès des autorités communales du désir à saluer, du Chef de l’Etat de marcher contre la corruption. Cette marche a répondu aux critères de la spontanéité et du rassemblement progressif. Le Chef de l’Etat et dans une plus large mesure les participants se seraient donc rendus coupables d’une violation de la loi.
Cette excellente et révélatrice manifestation de la liberté publique de manifestation, ne devrait pas être l’apanage d’une personne ou d’un groupuscule de partisans.

Nous comprenons qu’un flou juridique des textes liés à l’ordre public en notre pays, laisse la porte ouverte à des interprétations imprécises et parfois orientées voire teintées d’impartialité et d’abus.

2- Les pouvoirs de police administrative du Préfet en matière d’ordre public

Bien qu’ayant une finalité informative, la notification préalable peut subir des traitements différents par l’autorité communale. Elle peut se borner à prendre acte de la déclaration ou émettre des réserves destinées à permettre au mieux l’exercice de la liberté de manifestation, dans le respect des droits des tiers au respect de l’ordre public.

A cet effet, le Préfet, autorité déconcentrée de l’Etat, autorité de tutelle directe du Maire, et détenteur initial au niveau départemental du pouvoir de faire respecter l’ordre public, peut prendre des dispositions pour que l’exercice effectif de la liberté de manifestation ne constitue pas un trouble à l’ordre public. En matière d’ordre public (salubrité – sécurité – tranquillité – bonne mœurs - dignité humaine) il existe une concurrence au niveau communal entre les pouvoirs de police administrative du Maire et ceux du Préfet.
Les deux autorités demeurent toutes investies du devoir de maintenir l’ordre public, et le Maire a le droit et le devoir de requérir l’assistance et l’intervention du Préfet pour le maintien de l’ordre public, de même que le Préfet dispose du droit de s’autosaisir d’un risque manifeste de trouble à l’ordre public.

La police administrative correspond à l’activité destinée à prévenir les troubles à l’ordre public et est définie par opposition aux activités de police judiciaire, par le fait qu’elle a un caractère préventif du trouble. En dehors donc de circonstances et antécédents similaires il est difficile de prévoir par avance un risque manifeste de trouble.
Si au niveau départemental la préférence de police administrative est faite au Préfet, il demeure que le ressort territorial de la Commune laisse priorité au Maire.

L’article 25 fait obligation à l’Etat (donc par le biais du Préfet) de « reconnaître » et « garantir » la liberté de manifestation.

Si à l’information du Maire de Cotonou Mr Nicéphore Soglo en l’espèce, ce dernier estime qu’il existe des risques manifestes de trouble à l’ordre public, il dispose du droit et non de l’obligation de déférer son appréciation à la connaissance du Préfet, qui par avis motivé peut décider de prendre les mesures adéquates à la prévention de tout trouble.

Le Préfet Hêssou, ne peut prendre personnellement la décision d’intervenir sur une manifestation dans une commune, au-delà du Maire, que lorsqu’en face d’un risque de trouble manifeste, il a préalablement mis le Maire en demeure de prendre les mesures adéquates et que la carence de ce dernier ne lui laisse pas autre choix.

Par mesures adéquates à la prévention des troubles, il ne faut pas entendre comme le Préfet Jules Honorat Hêssou, autorité déconcentrée de l’Etat, donc hiérarchiquement soumise au Ministre, interdiction absolue de la marche litigieuse.

En effet, l’interdiction est prononcée par le Maire ou le Préfet que dans la mesure où elle est le seul moyen de prévenir l’atteinte à l’ordre public.

Le traitement des restrictions à la liberté de manifestation répond à une gradation des mesures au terme desquelles l’interdiction.
Le Préfet Hêssou en l’espèce disposait notamment par exemple, en respect de l’article 25 de la Constitution, de la possibilité et du devoir d’encadrer la marche litigieuse par les forces de sécurité publique, de manière à éviter tout débordement, mais il est surprenant que le raccourci de l’interdiction pure et simple ait été préféré.
L’avis motivé du Préfet pour interdire une marche peut par exemple se baser sur un antécédent de trouble observé dans des conditions similaires, ou lorsque le contexte local est fortement imprégné d’hostilité et nous n’avons pas souvenir d’un trouble à l’ordre public tant pour la « marche verte » sus-citée, que pour les multiples marches de soutien organisées par et pour les partisans du parti au pouvoir, ou encore même lors de la marche des partis dits de l’opposition non déclarée concernant le paiement de primes de santé.
Dans d’autres départements, pourtant sous le coup d’interdictions générales de manifestations, on est régulièrement témoin de marches de soutien ayant pour point de chute la préfecture, où les participants sont reçus par le Préfet s’il n’en fait pas partie, et où les motions de soutien sont lues et remises à ce mandataire spécial qu’est le préfet, qui a au préalable par arrêté interdit toute manifestation publique sur le territoire du département.

Cette décision d’interdiction de la marche syndicale est d’autant plus surprenante quand on sait que les forces de sécurité publique ont été fortement déployées pour s’assurer que l’interdiction est respectée. Ces mêmes forces de l’ordre auraient pu être déversées au profit de l’encadrement de la marche interdite.

Si la paternité de la décision de l’interdiction est d’office attribuée au Préfet Hêssou, autorité déconcentrée de l’Etat, la chaîne des responsabilités doit remonter la chaîne hiérarchique, car le Préfet n’est pas libre de prendre des décisions sans en référer ou en reporter à sa hiérarchie.


Face à ces situations disparates de traitement selon que le Préfet est un « fan » ou non des marcheurs, l’on se demande si cette politique du deux poids-deux mesures, est la conséquence de l’imprécision ou de l’ignorance des textes, ou tout simplement d’une volonté délibérée de zèle menant à des abus.

Nourou-Dine SAKA SALEY
Juriste


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